On répare et on repart sur des bases neuves

Clarence avait déjà préparé une jolie facture pour Allinblack qui s'excusa platement de sa maladresse et promit de payer au plus vite. Le barman commençait à s'habituer aux aléas qu'impliquaient la présence de drôles de bougres tels qu'en rassemblaient les bloody defenders et sa bonne humeur ne fut guère entachée par la destruction prématurée de sa vieille porte d'entrée.
Sur ce, les vampires choisirent une table confortable dans un coin sombre, où dans l'intimité du halo rougeoyant de trois chandelles biscornues, ils pourraient discuter un peu plus longuement

Si les quelques premières minutes furent consacrées essentiellement à l'extermination massive des bouteilles de rhum et aux tournées de sang cuvée prestige, les discussions prirent assez rapidement un tour des plus intéressants.

Je me réhabitue lentement à cet endroit si familier.

Je ne les avais nullement côtoyés dans ma vie d'homme, mais j'avais appris, la nuit, que ces repères étaient ce qu'il se faisait de mieux pour se fondre dans la masse et obtenir des renseignements.

Alors, d'abord pour la guerre, puis pour le meurtre, j'avais pris l'habitude de me trouver dans les coins sombres des bars, les sens aiguisés.
Maintenant, après des dizaines et des dizaines de nuits de rituel, je m'y rendais toujours mais souvent sans objectif précis.

L'ambiance est plus ou moins à la fête ce soir. Quelques courageux ont observé ce qu'ils ont pu d'un combat opposant l'allumeuse, nouvelle, et le bourrin qui, d'après la réaction de Clarence n'en était pas à ses premiers dommages collatéraux.

Je lorgne un peu sur sa hache tandis qu'il enchaine les verres de rhum. Une belle arme, qui n'est certainement pas pour les amateurs. Mais ce n'en est pas un, sans aucun doute.
Ce n'était certainement pas sa... "maladresse"... d'un peu plus tôt, qui me ferait croire le contraire.
J'avais senti les voies félines convoquées, et su qu'aucune maladresse n'était possible lorsqu'elles parlaient. Mais j'admire néanmoins la galanterie du personnage et, dans ma tête, note la morale de cette petite danse énoncée par le vampire...

Courageux mais pas téméraires, aucun commentaire sur l'incident ne se fait entendre dans la salle remplie aux trois quarts d'humains qui, quand les vampires sont à la fête, se tiennent à carreau pour ne pas jouer le rôle du champagne.

Cette nouvelle "symbiose" m'avait toujours fait sourire. Ils nous craignent mais nous les laissons vivre. Et nous avons plus que jamais besoin les uns des autres pour survivre depuis le début de ces temps difficiles.

Les trois femmes ne laissent pas l'assemblée indifférente, cela va de soi. Quand la plupart des hommes n'ont d'yeux que pour la nouvelle, et ce qu'elle laisse deviner de sa plastique, d'autres sourient bêtement devant le visage enjoué, coiffé de flammes, et visiblement connu de la femme qui, sans nul doute les a déjà goûtés. Enfin, tandis que la nouveauté attire tous les regards, l'expérience, la sagesse et le charme de la dernière des trois les défient tous de poser les yeux sur elle, exceptés les miens...

Le sang de mon verre commence à coaguler, je n'ai pas eu envie de le prendre à la source cette fois-ci et beaucoup m'en coûte maintenant. Je me rappelle ce petit bout d'humain si frêle qui étanchait ma soif autrefois, en ce même lieu. Son cadavre a certainement pourri, jusqu'à sa mort, et continue maintenant dans un des cimetières de la cité. Une parmi des milliers, mais je l'aimais bien...

Je repousse plus loin le passé et ce petit goût amer du regret, ou bien est-ce ce sang pas frais ? Puis me lève de ma chaise pour quitter ma sombre cachette, non sans défroisser rapidement ma tunique blanche.
J'arrive d'un pas lent mais assuré à proximité du quatuor aux dents longues, près du bar.

_ Belle démonstration de talents, amis, aussi nombreux et variés soient-ils. Dis-je sourire aux lèvres tout en saluant d'un hochement de tête les quatre créatures de la nuit.

Puis j'ajoute, à la faveur de la nouvelle.
_ J'ose espérer que nos vrais ennemis n'auront pas droit aux mêmes charmantes faveurs, demoiselle.

Enfin, d'un ton faussement désappointé, je m'adresse à l'autre mâle du groupe.
_ Et même jusqu'à espérer que nos propres rangs ne seront point décimés par une... maladresse.

Que je ponctue d'un clin d'œil complice.

Je reprends finalement mon sérieux et offre un visage amical au petit groupe.

_ Je suis Lathandre.

Pour avoir passé pas mal de temps dans cette bonne vieille taverne, Allinblack ne se souvenait pas particulièrement avoir déjà vu ce Lathandre. Celui-ci avait portant l'air de connaître déjà bien les lieux, ce qui ne manqua pas d'attiser la curiosité du jeune vampire. Mais alors qu'il s'apprêtait à déclencher une avalanche de questions franches et directes, la douce voix suave et finement teintée d'ironie de Yasmaera faucha l'herbe sous les pieds d'Allinblack, qui trébucha donc psychologiquement cette fois ci.
Et c'est le cerveau embrumé par moult liqueurs, qu'il s'abîma dans la contemplation des oeillades suggestives et des mouvements avantageux de l'aguicheuse experte.

Le petit groupe était revenu dans la taverne et s'était assis autour d'une table à la vue de tous, humains comme vampires. L'ambiance était à la fête, et chacun y allait bon train dans la parole et la boisson.
Un homme s'était joint à eux peu après, inconnu aux yeux de Sharon, mais visiblement bien plus vieux qu'elle, et plutôt séduisant. Canadre semblait bien le connaître. Celle-ci se poussa légèrement vers Sharon pour laisser la place au dit Lathandre de s'asseoir. La jeune vampire l'avait salué d'un signe de tête et était repartie dans ses pensées. Ils commentaient le duel et les tactiques de chacun, mais la jeune rouquine ne s'intéressait guère à la conversation et regardait autour d'elle comme un chat perdu au milieu de nulle part.

Tout allait si vite. La rencontre, le duel, le bavardage. Tout s'enchaînait sans le moindre moment de tranquilité, et elle commençait à être fatiguée.
Sharon porta nonchalemment le verre à ses lèvres en regardant dans le vide. Quelle tristesse de devoir boire le fluide carmin dans un verre, alors que nombre d'humains trainaient encore dans les parages, appétissants et gorgés de vie.

Elle entendait vaguement les paroles de ses camarades. Elle aussi avait utilisé ses charmes, une fois, pour servir d'appât. Mais sa pudeur l'empêchait d'y acourir plus souvent.

Et puis un éclat lumineux attire le regard de Sharon. Un sourire qui s'étire sur le visage du nouveau (mais pas si nouveau) venu. Esquissant à son tour un sourire rêveur à Lathandre, révélant ses canines pointues:

Sharon.

Deux choses percutèrent l'esprit d'Allinblack avec un retard sans doute imputable à l'alcool. Premièrement, Canadre lui avait lancé un sourire complice, et en y repensant, ça valait tous les frous frous du monde, et deuxièmement, l'inconnu s'était presque poliment présenté. Au terme d'un parcours excessivement tortueux, et après maints détours, l'idée vint à l'esprit d'Allinblack qu'il serait de bon ton de faire preuve d'un rien de politesse à son tour. En effet, la sensation que procurait la présence de Lathandre avait quelque chose d'étrange. Or, ce qui est étrange est forcément un peu dangereux et Allinblack aimait bien avoir les gens dangereux dans son camp. Il lui tînt donc à peu près ce language, fort raffiné, sans s'éloigner trop de sa chope:

Mourfgnnn, moi c'Allinblack, t'as l'air de connaître Canadre... d'où tu sors dis voir?

Et de lancer un sourire à Canadre, en guise de réponse tacite, juste au cas où.
Au cas où...
Allinblack se sentait particulièrement proche de Canadre. Il aimait bien sa façon de le taquiner, d'autant qu'il ne doutait plus ni de son pouvoir, ni de son expérience. La vampiresse avait toujours fait preuve de bienveillance, et Allinblack ne brûlait que de lui prouver sa bravoure à son tour. Elle lui rappelait quelqu'un, quelqu'un d'important qu'il n'avait su protéger, et les démons du passé le tourmentaient silencieusement... car c'est dans le silence et l'obscurité, toujours caché, qu'il avait appris à vivre et jusqu'à la déchirure, Allinblack savait qu'il devait maintenir son coeur en cage.

Une ravissante femme, vêtue d'une jupe courte noire et d'un léger haut en soie rouge, s'approche de moi tandis que mes compagnons se présentent à leur tour.
Yasmaera posant sa dernière question, la femme arrive finalement à ma hauteur et pose délicatement sa main sur mon épaule. Ses poignets sont sertis de bracelets de pauvre qualité, mais qui ont le mérite de briller un tant soit peu. Sa chevelure blonde est nouée en une longue queue de cheval qui laisse son cou à nu et percevoir des boucles d'oreille dépareillées. Son visage, bien qu'un peu pâle et légèrement tiré par la fatigue, reste très plaisant à admirer.

Sans un regard pour la nouvelle arrivante, je fais part de mon plaisir à l'assemblée.

_ Je me répète, mais je suis heureux de vous rencontrer Sharon, Yasmaera et Allinblack. Et de te retrouver. Désignant CaNadre du regard, sourire aux lèvres.

Ne pouvant esquiver les interrogations de mes compagnons, je décide d'y répondre de manière évasive.

_ Et bien, avant que Katana soit à la tête du clan, ce fût notre amie CaNadre, ici présente. Je tend une main vers la vampire. Et avant elle... Ma main retombe sur mon genou... votre ami Lathandre.

Je laisse quelques secondes aux trois vampires pour digérer l'information, puis continue.

_ J'ai créé ce clan, cette famille, il y a longtemps. Et bien que j'y ai aimé chaque membre, j'ai dû fuir. J'ai dû me fuir. Mes yeux se perdent dans le vague, tandis que ma voix s'éteint... Je me ressaisis. Mission échouée, mais heureusement, j'ai pu en réussir une tout aussi importante en récupérant un bien précieux.

Je souris et me redresse brusquement sur ma chaise haute.

_ J'espère que cela satisfait votre curiosité pour l'instant car je m'épanche rarement sur ma propre histoire.

Finalement, je me lève carrément de ma chaise tout en prenant dans ma main celle de la femme derrière moi, déclenchant un sourire sur les lèvres de cette dernière. Puis je salue mes confrères.

_ Je vous fausse compagnie ! J'arrive juste dans la cité, je dois encore retrouver les forces que ma précédente boisson n'a pas pu restaurer.

Posant ma main sur la nuque de la femme, je lui intime délicatement de se retourner et d'avancer à mes côtés tandis que le m'écarte doucement du groupe en direction de la porte.
Un courant d'air fait onduler mes longs cheveux noirs, ainsi que mon manteau blanc qui vient frotter contre les jambes de ma suivante. En effet, plus aucune porte n'empêchait ce souffle continuel de pénétrer dans la salle.

Je disparais ensuite dans la nuit noire de la cité Shield, pour profiter d'un peu de sang frais et d'une galante compagnie humaine...