Elle était née au bout du monde, sur cette langue de terre balayée par les vents et la mer en furie, couverte de ces landes d’herbe rase où folâtrent les esprits du passé, glissant rapides et légers entre les dolmens et les cairns. Elle était née au bout du monde, dans une cité cent fois tombée, mais qui cent fois s’est relevée, plus fière et plus forte que jamais. Ses habitants sont à son image, solides comme des rocs face à la colère de l’océan, chaleureux envers l’étranger cherchant asile. CaNadre était née dans la Cité du Ponant et avait grandit, heureuse et insouciante, sur cette terre de légende.
Puis la guerre éclata. Au bout du monde, les gens n’ont pas compris ce qui se passait. Ils n’ont pu qu’accepter leur sort : la mort. Dans le pays des fées d'autres races, plus dures et plus anciennes, se réveillèrent. Tous avaient oublié jusqu’à leurs existences, et les êtres de l’ombre étaient restés tapis dans les abîmes, attendant patiemment l’heure de la revanche. Quand elle fut venue, ils sortirent en masse et se déployèrent sur le monde. Incompréhension, horreur, terreur. La Cité du Ponant, dont on chantait partout qu’elle était éternelle, s’effondra en peu de temps, pour ne plus se relever. Les hordes chtoniennes envahirent ses rues, capturant, tuant ses habitants. Les seuls survivants furent le bétail des troupes de l’ombre, et les quelques rescapés qui parvenaient à échapper aux monstres. Une ère de chaos s’annonçait.
CaNadre, comme tous ses concitoyens, ne put qu’assister en spectatrice impuissante à la ruine de sa cité. Quand son logis fut détruit, elle se trouva séparée de ses proches ; elle n’a jamais su ce qui leur était arrivé. Puis elle avait vécu quelques temps de rapines pour assurer sa subsistance. Elle avait banni de son cœur remords et regrets, sentiments inutiles, charges pour l’homme. Finalement elle partit, marcha droit devant elle en direction du levant, pour oublier. Elle traversa de nombreuses villes, toutes dévastées. Elle aurait dû mourir dans les décombres… si elle n’avait croisé les pas d’une créature de la nuit.
Cette rencontre, pourtant primordiale, ne laissa qu’un vague souvenir à celle qui allait perdre la vie. Une silhouette féminine moulée dans une tenue de cuir rouge, des pas qui s’approchaient... CaNadre n’avait pas éprouvé de peur à la vue de la vampire : à quoi cela lui aurait-il servi? Des lèvres entrouvertes dévoilant de longues canines, un baiser le long de sa gorge, les mains fines mais fortes qui la retenait… En quelques minutes, tout était fait. L’humaine gisait à terre dans les bras de la vampire, qui se hâta de la mettre à l’abri. De cette fugace rencontre ne demeura qu’un nom : Genova.
Jamais CaNadre n’avait autant souffert. Sa renaissance était l’ultime épreuve que la nature lui imposait. Avec le temps elle avait appris à apprécier les avantages qu’elle tirait de sa condition nouvelle : une vue et une ouïe exacerbées, une force accrue, la souplesse et la démarche d’un chat sauvage. Elle comprit également qu’elle aurait à défendre sa place dans ce monde. On pouvait la voir, prédatrice solitaire, errer dans les rues, se déplaçant sans bruit dans ses bottes de cuir noir souple, sa robe de mousseline argentée dansant au vent. Sur ses hanches battait un baudrier dans lequel étaient glissées deux armes à feu et une petite dague ouvragée en argent. Ses boucles brunes encadraient harmonieusement un visage aux traits fins et à la peau pâle et cascadaient librement sur ses épaules. Ses yeux noisette avaient des reflets dorés, et ses lèvres bien dessinées laissaient par moment apparaître deux fines canines.
Elle voyagea longtemps, passant d’une ville à l’autre, toujours confrontée aux mêmes luttes et aux mêmes dangers. Face à cette violence latente elle commença à haïr celle qui l’avait condamnée à une pareille existence et qu’elle n’avait jamais revue. Ses pas finirent par la conduire dans une ville inconnue, hostile. Elle se terra dans les égouts et ne sortait qu’avec prudence, jusqu’à ce que le vent lui porta l’écho d’un nom, d’un refuge… Lathandre. Elle se mit en quête du clan mythique, espionnant chaque vampire, interrogeant chaque humain qu’elle rencontrait. Peu à peu elle parvint à retrouver leur trace.
Pourquoi un tel acharnement? Un irrésistible besoin d’en finir avec la solitude et la peur. Une farouche volonté de mettre ses armes au service d’un intérêt commun. La nécessité d’un contact amical. Admise au sein du clan, CaNadre se bat pour être à la hauteur des espérances de ses frères et s’efforce de ne pas les décevoir. Pour ne plus jamais être seule.