Elle était née cette nuit-là, nuit de cauchemar où le monde s'abîma dans le néant.
Elle l'avait rencontré alors que l'ombre étendait déjà ses ailes sur le chaos environnant, voilant aux yeux des derniers survivants les horreurs d'une guerre totale.
Elle l'avait suivi, cet homme au regard hypnotique, au milieu des décombres, sur un chemin semé de cadavres.
Elle se savait en sursis, perdue pour la vie et l'amour. Son avenir s'était rétréci jusqu'à n'être plus qu'un point infime entre les doigts de la mort.
Il serait son premier et dernier amant, puisque tout devait s'arrêter là... Hélas, le destin veillait encore, il fut son père, son créateur lorsqu'il but avidement à sa gorge et son plaisir et son sang...
Lorsqu'elle reprit conscience, le monde autour d'elle avait changé. Un voile rouge semblait recouvrir toute chose, des ondes de violence et de rage parcouraient son corps. Elle ne se reconnaissait plus. Elle était née cette nuit-là...
Cette desespérance ne dura pas. Bientôt, elle s'efforça d'oublier d'oublier tout ce qui fut sa vie d'avant, elle bannit de son esprit les souvenirs trop doux, elle renia tout ce qui l'avait maintenue debout jusque là.
Elle apprit à aimer la nuit, elle se délecta de la violence qu'elle mettait à déchiqueter ses victimes humaines.
Elle errait dans l'ombre, seule, ses longs cheveux noirs cachant à demi son visage blafard, les paupières mi-closes sur l'éclat émeraude d'un regard vipérin.
Elle avait volé sur l'une de ses malheureuses victimes un long manteau de cuir sombre, sous lequel deux holsters maintenaient contre ses flancs ses uzis de prédilection.
De victime, elle était devenue prédatrice, et lorsqu'elle faisait claquer le talons de ses bottes de peau fauve dans les rues désertes, il lui semblait que la nuit lui appartenait.
Elle s'acoquina à des êtres comme elle, à des clans de fortune, pour les quitter bien vite et retrouver une solitude propice.
Une nuit, le passé oublié la rattrappa au moment où elle s'y attendait le moins. Ses pas l'avaient conduite malgré elle au pied d'une citadelle dont les murs semblaient résonner des échos de promesses enfuies. Elle était entrée, ils l'avaient accueillie, ils parlaient d'espoir, d'honneur et de renouveau. Par peur, par défi, elle s'était à nouveau enfuie. Mais leurs mots étaient restés gravés dans son coeur, et souvent, par ces nuits bruineuses qu'elle affectionnait tant, elle revenait les épier, leur voler cette chaleur dont elle avait cru pouvoir se passer.
Et c'est là, tapie dans l'ombre sous leurs fenêtres, qu'elle réapprit à pleurer...